L’avocat spécialisé en protection sociale, Michel Ledoux, revient pour ActuEL HSE sur plusieurs apports importants de la loi santé travail et de ses textes d’application en matière de prévention des risques professionnels.
Avocat fondateur du cabinet Ledoux, Michel Ledoux, est un acteur majeur de l’évolution jurisprudentielle en matière d’hygiène, de santé et de sécurité au travail depuis plus de 30 ans.
Chargé d’enseignement, notamment aux Universités Panthéon-Sorbonne et Paris V Descartes et à l’École de Formation du Barreau, l’avocat revient pour ActuEL HSE sur les grandes nouveautés de la loi santé au travail de 2021.
Notamment sur l’archivage du document unique pendant au moins 40 ans. « Désormais, le temps qui passe ne fera pas disparaître le risque de la mise en cause de la responsabilité civile et pénale de l’employeur », prévient-il…
Michel Ledoux : Si la loi du 2 août 2021 est surtout une loi qui réforme des services de santé au travail, elle conduit sur certains sujets à une approche beaucoup plus précise et plus ciblée. C’est notamment le cas de la question préoccupante de l’exposition des travailleurs à des substances toxiques ou nocives ainsi qu’aux situations de poly-expositions à plusieurs agents chimiques dangereux.
Sur ce thème, la nouvelle loi incite clairement à rendre la prévention plus effective.
M. L. : La grande nouveauté, c’est bien sûr qu’il doit être archivé pendant au minimum 40 ans. L’objectif évident est de faciliter la reconnaissance du caractère professionnel de certaines pathologies à effet différé, lorsqu’il existe un décalage dans le temps entre le moment de l’exposition au risque et la date d’apparition de la pathologie. Or, le document unique doit faire l’inventaire des substances et préparations chimiques utilisées dans l’établissement.
La consultation du DUERP facilitera donc la preuve de l’exposition ce qui devrait améliorer la réparation pour les travailleurs concernés. Pourront consulter les DUERP et pour la période qui les concerne, les « travailleurs, leurs ayant droits, les anciens travailleurs ou toute personne ou instance ayant intérêt à y avoir accès ».
Or, j’attire l’attention sur le mot « travailleurs ». Le Code du travail dispose que « l’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Or, les travailleurs au sens de l’article L. 4111-5 du Code du travail sont « les salariés, y compris temporaire, et les stagiaires ainsi que toute personne placée à quelque titre que ce soit sous l’autorité de l’employeur ».
La référence aux « travailleurs » est intéressante car cette catégorie de salariés qui inclut les sous-traitants est particulièrement suraccidentée, ce que confirme d’ailleurs un rapport de la Dares publié le 1er mars 2023.
On peut d’ailleurs faire le rapprochement avec les arrêts rendus les 8 février et 15 mars 2023 qui permettent désormais au salarié d’un sous-traitant d’« enjamber » si je puis dire, son propre employeur pour demander devant le Conseil de Prud’hommes des dommages et intérêts à l’entreprise utilisatrice en cas, par exemple, d’absence d’inspection préalable commune ou de plan de prévention trop imprécis en particulier dans l’identification des substances dangereuses présentes sur les lieux de l’opération.
En conséquence, les sous-traitants et les salariés intérimaires pourront aussi, le cas échéant, avoir accès au DUERP de leur propre entreprise mais également à celui des entreprises au sein desquelles ils sont intervenus durablement.
Une autre nouveauté importante consiste pour les entreprises d’au moins 50 salariés à élaborer à la suite du DUERP un programme annuel de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail (PAPRIPACT) qui doit prévoir des actions précises et détaillées, leurs modalités d’exécution, les indicateurs de résultat ainsi qu’une estimation des coûts et de la mise en place d’un calendrier de mise en œuvre.
Ce nouveau « programme annuel de prévention » est donc beaucoup plus concret qu’auparavant et devrait conduire à une meilleure effectivité des actions entreprises. Désormais, on ne peut promettre que ce qui est réalisable, planifié et financé.
En définitive, l’employeur doit plus que jamais prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité de ses salariés mais également des salariés intérimaires ainsi qu’en cas de coactivité des sous-traitants.
M. L. : Il s’agit en réalité d’une nouvelle opportunité en termes de prévention. En effet, pour archiver le document unique encore faut-il qu’il existe. Trop d’entreprises à ce jour n’en n’ont toujours pas. Il faut rappeler qu’en cas de mise en cause de sa responsabilité civile, l’employeur ne pourra s’exonérer que s’il « justifie » avoir respecté la démarche des principaux généraux de prévention, démarches dont la traçabilité au niveau de l’établissement est notamment assurée par ce document unique et son plan d’action.
Ceci dit, il semble judicieux que les employeurs songent également à archiver en interne la preuve de l’effectivité des plans d’action déduits du document unique et de ceux promis notamment dans le PAPRIPACT. Que se passera-t-il dans 20 ans lorsqu’un ancien salarié à la suite de la reconnaissance de la maladie professionnelle engagera une procédure en faute inexcusable de l’employeur ?
L’employeur devra alors justifier très concrètement et documents à l’appui, qu’il a pris, à l’époque de l’exposition au risque, soit 20 ans auparavant, les mesures promises dans les plans d’action pour préserver la santé du demandeur à la procédure.
Désormais, le temps qui passe ne fera pas disparaître le risque de la mise en cause de la responsabilité civile et pénale de l’employeur en particulier en cas d’exposition à des produits toxiques ou nocifs.
M. L. : À compter du 31 mars 2022, le CSE et sa commission, santé, sécurité et conditions de travail, s’ils existent dans l’entreprise, vont devoir être consultés et apporter leur contribution l’évaluation des risques professionnels. Cette nouvelle règle qui ne change rien à la responsabilité de principe de l’employeur devrait, si tout le monde joue le jeu, améliorer la qualité de l’évaluation et la pertinence des choix dans les actions à mener.
L’écoute des salariés et de leur représentant ne peut qu’enrichir l’évaluation des risques.
Je rappelle qu’à défaut de consultation, l’employeur commet un délit d’entraver au fonctionnement régulier du CSE, ce qui l’expose à un risque pénal.
M. L. : Ces changements ne peuvent qu’être bénéfiques. La loi élargit en effet la durée de la formation des membres du CSE. La formation du « salarié compétent » est désormais obligatoire, sans oublier la mise en place du passeport prévention.
L’ignorance est à la base de beaucoup de malentendus et la connaissance précise de la réglementation favorise sur ce sujet également l’effectivité et l’efficacité du dialogue avec l’employeur et particulièrement avec les préventeurs.