Alors que la CGT a longtemps été productiviste, comme d’autres syndicats, elle se saisit depuis plusieurs années des enjeux environnementaux en lien avec le travail. Face à la nécessité de « faire bifurquer les modes de production », l’Ugict-CGT questionne notamment la capacité de l’entreprise à évoluer face aux urgences environnementales en intitulant une table-ronde : « l’entreprise, inadaptée aux enjeux ? »
Dominique Carlac’h, conseillère du groupe Entreprises au CESE pour le Medef, a défendu devant un public qui n’était pas conquis à l’avance, l’idée que l’entreprise privée est bien adaptée aux enjeux climatiques et environnementaux. Selon elle, « le rôle de l’entreprise sur les enjeux climat est majeur et les entreprises peuvent être des solutions ». La preuve ? « L’évolution des stratégies d’innovation de l’entreprise ».
Elle explique qu’au XXème siècle, les stratégies d’innovation misaient tout sur l’efficacité (sans regarder la dépense de ressources). Elles auraient évolué vers une notion d’efficience, avec le « less is more » au XXIème siècle. En d’autres termes, après avoir investi pour rattraper le retard technologique, les entreprises tiennent davantage compte aujourd’hui de la durabilité et de l’impact de leurs investissements. Et depuis la crise sanitaire, la notion de souveraineté serait aussi intégrée : « Il va falloir qu’on continue à investir parce que si on veut continuer à se nourrir, à se loger et à servir les usagers, il va falloir qu’on puisse être capable de le faire au moins à une échelle européenne ». La représentante du Medef apporte un bémol sur cette question des investissements : « Pour pouvoir investir sur tous ces sujets à raison de milliards, il faut que les entreprises aient une visibilité car les temps des transitions ne sont pas des temps de bilan comptable mais des temps très longs », explique-t-elle.
Agathe Le Berder, secrétaire générale adjointe de l’Ugict-CGT, se saisit de cette notion de différence de calendrier pour s’exprimer sur le fonctionnement des entreprises aujourd’hui. Les stratégies des entreprises s’inscrivent dans « une dynamique qui existe depuis les années 80 de financiarisation de l’économie » avec des « échéances à court terme parce que les actionnaires sont avant tout mus par le court-termisme des dividendes qu’on leur verse », d’où « des politiques managériales orientées uniquement pour sortir de la valeur pour les actionnaires ».
Elle cite une chronique d’un économiste de Natixis selon qui : « Pour financer la transition énergétique, les entreprises vont devoir réduire la rémunération de leurs actionnaires ». De son côté, Dominique Carlac’h donne des exemples de transformation de procédés industriels qui permettent de moins gaspiller d’eau et d’énergie pour pouvoir faire des économies. Lesquelles permettent de « maintenir de l’emploi » dans des secteurs fortement concurrentiels. Elle cite le chancelier allemand Helmut Schmidt pour qui les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain.
Pour Agathe Le Berder, au-delà de la question des investissements et du partage des richesses, un autre aspect structure le fonctionnement de l’entreprise par rapport à ces enjeux climatiques : les relations sociales au sens large.
Pour la CGT, les salariés n’ont pas aujourd’hui le pouvoir de faire « bifurquer » leur entreprise, notamment parce que le droit est insuffisant. Elle regrette notamment que la loi « climat et résilience » n’aille pas assez loin avec, à titre d’exemple, une obligation d’avoir uniquement les informations sur les scopes 1 et 2 des bilans GES dans les BDESE (alors qu’une large part des impacts carbone se situent au niveau du scope 3).
Surtout, elle déplore que « les représentants syndicaux et les représentants de salariés ont très peu de place dans les instances où se décident les stratégies d’entreprise, notamment les conseils d’administration ». La CGT porte diverses propositions en ce sens, comme l’idée que les salariés puissent avoir un droit de veto et de proposition de projets alternatifs par rapport aux projets portés par leurs employeurs. Ou celles d’avoir 50 % de sièges de salariés dans les conseils d’administration, et la capacité pour les CSE de pouvoir rendre des avis sur les projets qui ont un impact sur l’environnement.
Cette question de la possibilité des travailleurs d’influer sur les stratégies de leur entreprise, notamment au regard des enjeux environnementaux, a une résonance particulière pour les catégories représentées par l’Ugict (ingénieurs, cadres, techniciens). Selon Agathe Le Berder, au vu de leur place, ces encadrants ont accès à des informations. Ils devraient aussi pouvoir impulser des politiques managériales et des choix stratégiques. Or, « dans les entreprises mais aussi dans les administrations, on les force notamment sur les questions environnementales, à se soumettre à ces grandes stratégies actionnariales ou s’ils ne le supportent pas, à se démettre, à quitter l’entreprise ».
Face à ce choix cornélien, elle rappelle la revendication de la CGT qui correspondrait à un souhait d’une majorité de cadres de « pouvoir reprendre la main sur le travail, sur les orientations stratégiques des entreprises ». Elle ajoute que cela répondrait à une demande de tous les travailleurs sur le sens au travail et plus précisément sur la prévention des conflits de valeurs, eux-mêmes facteurs de risques psychosociaux (le fait de subir l’orientation de son entreprise et de ne pas pouvoir la faire concorder avec ses valeurs éthiques et son expertise professionnelle).
Jean-François Naton, conseiller CGT au CESE rappelle une des préconisations de l’avis du CESE pour lequel il est rapporteur (Travail et santé-environnement : quels défis à relever face aux dérèglements climatiques) : « L’écoute des salariés ». Il reconnaît que cela peut « faire un peu bisounours ». Mais, pour lui, « le devoir de l’écoute, c’est entendre, comprendre, écouter celles et ceux qui font » puisque, en ce qui concerne le travail, ce sont eux les sachants.
Cette proposition porte sur l’enjeu de la santé au travail (« inscrire l’écoute des salariés parmi les principes généraux de prévention du code du travail »). Mais, en cohérence avec cet avis, il appelle à ne « plus segmenter entre environnement, santé au travail et santé publique ; la santé est globale, on ne sectionne pas les individus ». Il mentionne des travaux de Pierrette Crozemarie de la CGT, « qui la première en 2015, pose la question de l’exposome, donc de la plurifactorialité des risques et qui pose la question du climat et des enjeux écologiques dans les questions du travail ». Et challenge son syndicat en précisant que ce principe d’écoute vaut « aussi pour le syndicalisme. Écouter, entendre, comprendre les travailleuses et les travailleurs pour ne plus se considérer comme un syndicaliste sachant, mais prendre en compte la réalité, pour oser toujours être dans ce que nous sommes, un syndicalisme de transformation ».
Le rapporteur insiste sur le fait que cet avis du CESE a été voté à l’unanimité. Pour lui, c’est toute la richesse du CESE. « C’est loin du bruit et de la fureur qu’on est capable de vraiment travailler à ce qui va rassembler », estime-t-il, plutôt que cultiver ce qui divise.
Dominique Carlac’h se félicite aussi de ce vote. En revanche, elle précise un point de dissensus côté Medef : l’écoconditionnalité (subordination du versement d’aides publiques au respect de principes et critères environnementaux). Celle-ci serait trop dissuasive alors qu’il s’agit plutôt d’inciter les entreprises à investir.
L’écoconditionnalité est une des causes portées par l’Ugict et toutes les organisations syndicales. Pour Agathe Le Berder, il s’agit de reprendre « le contrôle sur les 200 milliards d’euros d’aides publiques qui sont versées chaque année sans contrôle, ni contrepartie aux entreprises, notamment sous la forme d’exonération de cotisations sociales ». Elle estime qu’il est « grave aujourd’hui que l’argent public serve à financer des projets qui peuvent potentiellement être néfastes pour l’environnement mais aussi pour les êtres humains ».