En 2022, année où le Covid a commencé à se normaliser, l’agence européenne pour la sécurité et la santé au travail (EU-OSHA) a pris le « pouls de la SST » à travers une vaste enquête (OSH Pulse 2022) basée sur plus de 27 000 travailleurs dans tous les États membres de l’Union européenne, en Islande et en Norvège.
Dans un rapport publié le 13 février, elle en compare les résultats avec ceux d’enquêtes européennes sur les conditions de travail (EWCS) pré-pandémiques (2010, 2015) et durant la crise (2021) afin de « générer des preuves pour éclairer la discussion sur les conséquences immédiates et possibles à long terme de la pandémie sur la santé mentale liée au travail ».
Malgré des méthodologies différentes – qui limitent parfois « la comparaison directe » – et le peu de recul sur la période considérée (réponses de l’OSH Pulse collectées en avril et mai 2022), l’EU-OSHA voit poindre la normalisation d’une certaine pression temporelle ou surcharge de travail dans notre « monde du travail post-pandémique ». Et s’interroge sur le rôle de la numérisation dans l’augmentation du stress mental durant et après la crise sanitaire.
La « forte pression temporelle ou la surcharge de travail » est le « facteur de risque le plus signalé dans l’enquête OSH Pulse et semble constituer un problème particulier dans le monde du travail actuel », remarque l’EU-OSHA. Au lendemain de la pandémie, près de la moitié des personnes interrogées dans l’UE (46,0 %) ont déclaré être confrontées à de fortes contraintes de temps ou à une surcharge de travail.
Un facteur de risques psychosociaux (RPS) bien plus cité que la mauvaise communication ou coopération au sein de l’organisation (26 %), le manque d’autonomie ou manque d’influence sur le rythme ou les processus de travail (18 %), les violences ou injures de clients, patients, élèves, etc. (16 %) et le harcèlement ou l’intimidation au travail (7 %).
Surtout, cette proportion de 46 % s’avère à peine moins élevée que celle affichée par l’EWCS de 2021. En pleine crise sanitaire, 49,1 % des travailleurs déclaraient « travailler régulièrement à un rythme élevé ». Avant la pandémie, la proportion se stabilisait autour du tiers (33,3 % dans l’EWCS 2010 et 33,9 % dans l’EWCS 2015).
« Il serait souhaitable de mener des recherches plus approfondies pour déterminer si et pourquoi la charge de travail est si élevée sur de nombreux lieux de travail et comment cela pourrait être compensé », préconise l’agence, qui émet l’hypothèse d’un « manque de sensibilisation parmi les employeurs au risque de pression temporelle ». Une enquête européenne de 2019 révélait que seulement 45 % des établissements signalaient la présence de pressions temporelles comme facteur de risque.
Autre facteur de RPS exacerbé par la crise de Covid-19 : la numérisation du travail. « Les analyses ont montré que les travailleurs occupant des emplois hautement numérisés étaient plus stressés pendant la pandémie que ceux dont le travail était moins numérisé », note l’EU-OSHA, qui décèle un « lien entre le stress au travail provoqué par l’utilisation des technologies numériques au travail (charge de travail accrue, autonomie réduite) et la santé mentale ».
« Même si le travail numérique ne pose pas de problème en soi, les entreprises ne semblent pas être conscientes des risques SST liés à son utilisation », pointe l’agence. Moins d’un quart des entreprises européennes discutaient avec leurs salariés de l’impact potentiel sur la SST de l’utilisation des technologies numériques au travail, selon une enquête de 2019. De quoi rappeler que la numérisation peut entraîner « une augmentation de la charge de travail en raison du multitâche », des temps de réaction plus courts ou une plus grande quantité d’informations à traiter.
Fait notable concernant la flexibilité du travail, l’EU-OSHA ne trouve « aucune preuve indiquant que le télétravail était associé à une augmentation (ou une diminution) du stress lié au travail ». Elle relève toutefois que le travail dans des lieux publics (cafés par exemple) était associé à un stress professionnel accru.
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« S’il était déjà important d’aborder les risques psychosociaux et la santé mentale liée au travail dans le cadre de la SST avant 2020, la pandémie a rendu cette tâche encore plus urgente », conclut l’agence. En matière de RPS, elle écarte un « effet pandémie » – une augmentation ou diminution « disruptive » de la charge mentale au travail – au profit d’un « développement évolutif » préoccupant pour l’avenir (à l’exception de certains secteurs « affectés de manière disproportionnée » comme la santé et l’éducation, cf. encadré).
« Cela signifierait que le problème bien connu des facteurs de risque psychosociaux pour la santé mentale des salariés existe toujours et constitue un problème apparemment non résolu », formule-t-elle, avant de souligner la nécessité de « se demander lesquels de ces changements sont permanents et feront partie du monde du travail « normal » post-pandémique ».
Les travailleurs affectés « de manière disproportionnée par la pandémie »
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L’EU-OSHA observe un niveau de stress particulièrement élevé au travail et une mauvaise santé mentale dans les secteurs de la santé et de l’éducation (enquête 2022). « Des initiatives distinctes pourraient être nécessaires pour éviter que le niveau élevé de stress mental dans [ces secteurs] ne s’enracine après la pandémie », indique-t-elle.
L’agence européenne alerte également sur une augmentation des inégalités de genre durant la pandémie. Selon les données de l’OSH Pulse 2022, les femmes ont davantage signalé une augmentation de leur stress au travail, ont davantage été victimes de violence verbale ou physique au travail et avaient moins d’autonomie. L’EU-OSHA appelle « à éviter à l’avenir que ces différences ne s’aggravent davantage ». |