À l’heure de l’intelligence artificielle générative, on en oublierait presque la « révolution » de la réalité virtuelle (VR) annoncée en 2016 lors de la sortie de l’Oculus Rift de Facebook – devenu « Méta » pour métavers –, ou de la Playstation VR mi-octobre par Sony. Depuis, l’immersif a franchi les frontières du gaming pour s’immiscer dans le monde du travail, notamment via les formations professionnelles (Bouygues, Orange, hôpital Bichat, etc.).
Si les applications pratiques restent encore limitées, le métavers est promis à un bel avenir. Le cabinet d’études américain Gartner estime par exemple que ce dernier sera mature en 2030. Et annonce « un seul métavers, de la même manière que nous utilisons un seul réseau internet ». Or, sans surprise, immerger son avatar dans un espace virtuel tridimensionnel via un « visiocasque » n’est pas sans risque, surtout au travail.
Dans une revue rapide de littérature académique et grise publiée ce mois-ci (en anglais), Pierre Bérastégui, chercheur à l’institut syndical européen (ETUI), identifie les principaux dangers liés à ces technologies qui se développent à vitesse grand V. « La réalité étendue est désormais présentée par les GAFAM comme l’avenir du travail à distance et, à ce titre, la prochaine évolution majeure dans notre manière de travailler, alerte-il. L’anticipation et la reconnaissance des risques liés aux lieux de travail immersifs […] revêtent une importance cruciale. »
Dans la famille des risques physiques, le chercheur pointe d’abord une exposition accrue à la lumière bleue. La courte distance séparant les yeux de l’écran du casque VR augmente considérablement l’exposition du travailleur par rapport à un écran d’ordinateur classique. Pour rappel, la lumière bleue joue notamment un rôle dans la production de mélatonine (l’hormone du sommeil). Elle peut aussi, selon la longueur d’onde ou l’intensité, causer des dommages à la rétine, selon Pierre Bérastégui.
L’inconfort du casque VR ou AR (réalité augmentée) peut également entraîner un « syndrome de vision par ordinateur » (maux de tête, yeux secs et irrités, vision floue). Pour en prévenir les symptômes, le port du visiocasque ne devrait pas durer plus de 55 à 70 minutes par session, selon une étude de 2019 citée par le chercheur. Or, l’Anses révélait en 2021 que la durée moyenne d’une session pour les usages professionnels atteignait 75 minutes.
Autre risque : la « cyberkinétose » (ou cybermalaise) qui présente des symptômes similaires au mal des transports (maux de tête, vertiges, nausées et désorientation). « Les yeux perçoivent le mouvement mais l’oreille interne qui donne notre sens de l’équilibre indique au cerveau que le corps est immobile », explique le docteur en ergonomie cognitive. Une « disparité entre les informations reçues par les systèmes vestibulaires et visuel » qui concernerait entre 20 et 95 % des utilisateurs, selon le chercheur. Le risque serait plus grand pour les environnements immersifs avec beaucoup de mouvements, un champ de vision large et un réalisme virtuel élevé.
Le port prolongé d’un casque VR peut aussi provoquer des « troubles musculo-squelettiques (TMS) du cou et des épaules ». « Le poids du casque est supporté par le front et le nez, ce qui amène l’utilisateur à progressivement incliner la tête vers l’avant, explique l’ergonome. Au fil du temps, cette posture peut augmenter la charge sur la colonne vertébrale [et] entrainer davantage de mouvements de tête. »
Autrement, le risque de blessures causées « par une collision avec des objets du monde réel ou par un trébuchement sur les câbles » ne doit pas être écarté, même si les développements récents le réduisent considérablement. Le risque de blessures peut aussi provenir d’une « altération du fonctionnement cognitif et perceptuel » (perception réduite, temps de réaction réduit, difficultés de concentration), effet à court-terme constaté après une session VR.
« Des recherches supplémentaires sont nécessaires sur les effets de l’immersion sur l’équilibre et la coordination œil-main, en particulier [pour] l’exécution de tâches critiques pour la sécurité, telles que la conduite automobile ou l’utilisation de machines », suggère le chercheur.
© Pierre Bérastégui / ETUI
« Les visiocasques soumis à une utilisation prolongée sont colonisés par des niveaux élevés de contaminants bactériens, équivalents ou supérieurs à ceux trouvés sur les claviers d’ordinateurs dans des environnements similaires », ajoute-t-il. La sueur collectée par le casque, associée à la chaleur générée par l’appareil, créerait en outre un « terrain fertile » pour différentes bactéries, comme les staphylocoques.
En 2020, une étude a isolé des souches de staphylocoque doré (staphylococcus aureus) « possédant des niveaux élevés de résistances aux antibiotiques dans les embouts nasaux et le front des casques VR utilisés par plusieurs personnes lors d’un cours de développement de logiciels ».
Du côté des risques psychosociaux, des participants à une étude publiée en 2022 rapportée par l’auteur de la note, ont soulevé davantage de frustration (42 %) et d’anxiété (19 %) après avoir passé une semaine de travail de 40 heures en VR par rapport à une semaine au bureau. Deux d’entre eux ont même abandonné l’étude dès le premier jour en raison d’une migraine sévère, de nausées et d’anxiété. Une augmentation de la charge de travail en VR (+ 35 %) a également été signalée. « Les solutions VR contemporaines destinées aux consommateurs sont encore loin d’avoir les niveaux d’utilisabilité requis pour une utilisation durable en milieu de travail », alerte Pierre Bérastégui.
Enfin, ce dernier souligne le risque de cyberintimidation (harcèlement, « trolling ») : « La cyberintimidation a été soulignée comme un défi majeur par les chercheurs car les environnements immersifs permettent aux utilisateurs d’interagir de manière auparavant inimaginables ». Avec en point de mire, la technologie dite « haptique » qui « peut créer l’expérience de toucher […] dans des environnements virtuels ». Ce qui « pourrait être utilisée pour fournir une sensation de contact virtuel entre deux avatars, déclenchant une sensation physique », prévient-il.
De quoi ouvrir la porte à une nouvelle forme d’harcèlement. D’autant que l’utilisation d’un avatar dans un univers virtuel peut entrainer un « effet de Proteus » (tendance d’utilisateurs à être plus confiants et extravertis lorsqu’ils utilisent un avatar grand et attrayant par exemple). « Il a été démontré à plusieurs reprises que les utilisateurs ajustent leurs modèles de comportement pour correspondre à l’apparence de leur avatar », note l’ergonome. Attention donc au métavers, a fortiori médié par un avatar.