RPS : comment construire et déployer une culture du care management ? Une des conférences du salon du management qui s’est tenu mardi dernier a porté sur cette thématique. Animée par Fabienne Broucaret, rédactrice en chef pour Courrier cadres, cette table-ronde a réuni Lucie Petyst de Morcourt, DRH Boursorama ; Adrien Chignard, psychologue du travail, et fondateur de SENS&COHERENCE et David Mahé, fondateur et président de Human & work.
Adrien Chignard relève un grand nombre de « problématiques de surcharge de travail et de charge mentale, notamment dans la population des femmes ». Selon lui, la crise sanitaire a entraîné une intensification du travail qui est toujours présente. Or cette intensification du travail a nécessairement des conséquences sur la santé mentale.
Lucie Petyst de Morcourt explique en partie cette intensification par des « cycles économiques qui se sont raccourcis ». Dit autrement, « pour obtenir des résultats économiques, il faut énormément d’efforts ». Ce constat de l’intensification du travail et de ses impacts sur la santé (charge mentale, stress, situations délétères dans l’entreprise) fait consensus. Le psychologue du travail note qu’au travail, « plus c’est intense, moins nous avons de temps pour réguler ».
Or, « ces espaces interstitiels » (concrètement « le petit moment où on attend que la machine à café se remette à zéro ») ne sont pas inutiles comme on l’a cru pendant longtemps, ils sont au contraire nécessaires pour gérer les relations interpersonnelles. Selon lui, les conflits sont « consubstantiels à la coprésence, et donc au travail » et ces temps sont nécessaires pour réguler les quiproquos ou désamorcer des incompréhensions. Dans le cas contraire, « hyperconflictuallité va nécessairement avec l’intensité » du travail.
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Adrien Chignard insite que le fait qu’une culture de prévention ou selon l’intitulé de la conférence une « culture du care » doit d’abord porter sur le collectif : « Vouloir un individu sain dans un milieu malade, c’est une absurdité ». Il s’agit donc de « soigner les conditions de travail », pour que les travailleurs puissent produire « un travail bien fait, qui est ce à quoi chacun aspire ». Il rappelle aussi la place du travail dans nos vies : « Après le sommeil, le travail c’est la 2e activité dans notre vie ». Moins prosaïquement, le travail est « une composante identitaire de l’individu qui est très forte ».
Il cite les travaux d’une chercheuse française (Tiphaine Huyghebaert) sur les théories de l’autodétermination. Celle-ci liste trois fondamentaux pour « nourrir la santé et la performance en situation de travail » :
- l’autonomie, à différencier de l’indépendance, qui est la possibilité qui nous est laissée de décider de certaines choses dans notre façon de fonctionner ;
- la compétence, en lien avec le caractère constructif des feedbacks (comment permettre à un collaborateur « de mettre en musique ses connaissances ») ;
- la filiation qui est l’intérêt sincère que l’on va avoir pour quelqu’un, en prenant en considération sa singularité.
Il estime que le préalable à une « culture du care », c’est d’avoir une certaine lucidité. Pour lui, « le risque psychosocial est consubstantiel aux histoires de travail ». Donc « il s’agit de reconnaitre l’existence des risques psychosociaux pour pouvoir les identifier, les maîtriser et agir dessus » car a contrario, si « on nie l’existence de ces risques psychosociaux, on n’est pas en capacité d’en faire une juste évaluation » ni à mettre en œuvre des actions de prévention.
Enfin, le psychologue du travail rappelle aussi l’importance de « sanctionner systématiquement les performants toxiques », sans quoi cela décrédibilise et détruit la culture du « care ». Côté RH, Lucie Petyst de Morcourt ne dit pas autre chose : « Face à des pratiques qui sont délictueuses ou criminelles, même si le salarié est, par exemple, le meilleur des commerciaux, il faut s’en séparer car il détruit un collectif et insécurise la performance de l’entreprise ».
L’animatrice questionne ensuite les invités sur le rôle du manager. Dans les échanges, revient l’exemplarité du manager. Mais attention, celle-ci n’est pas à comprendre comme une atteinte de la perfection en tout point. Il s’agit d’avoir un comportement en phase avec la culture du « care ». David Mahé précise qu’un manager a pour finalité de « faire réussir son équipe », en montrant une direction ou un projet commun mais aussi « en faisant attention », ce qui requiert des compétences d’écoute, et d’empathie.
Or, pour que cela soit possible, l’entreprise doit valoriser et encourager ces comportements et ces attentions portées à l’autre, y compris ceux qui sont en difficulté (lorsque c’est le cas, il constate un développement de la solidarité et de la performance collective). C’est donc à ce titre que les managers, y compris au plus haut niveau doivent être exemplaires « dans la façon dont on fait attention aux collaborateur ».
Toujours sur la prévention primaire, Adrien Chignard note « qu’on a confondu le sain et l’agréable pendant longtemps » et il rappelle que le concept de QVCT ne doit pas être un fourre-tout avec « beaucoup d’actions qui sont très périphériques par rapport au cœur du travail, au cœur du métier, au cœur de l’activité ».
Selon lui, cela n’a non seulement aucun impact positif sur la santé mentale des collaborateurs, mais cela créé une défiance vis-à-vis du « top management ». Un manager doit justement, selon David Mahé, s’intéresser au travail, au contenu, à l’organisation et aux relations entre les gens. Un de ses rôles est aussi de créer du lien social au sein d’une équipe : « C‘est lui qui facilite la cohésion et la collaboration au sein d’une équipe au service d’un projet commun ».
En prévention tertiaire, le manager a aussi le rôle de détecter les signaux faibles. Adrien Chignard cite sa « règle des trois I » pour :
- l’isolement (« Si les oiseaux se cachent pour mourir, les êtres humains se cachent pour souffrir »). Les personnes en souffrance opèrent un retrait social (alors que le premier rempart contre la détresse psychologique en situation de travail, c’est le soutien des pairs). Quelle que soit la personnalité de chacun (extraverti ou introverti), quelqu’un qui s’isole un peu plus que d’habitude, cela doit alerter le manager ;
- l’irritabilité (selon la théorie de Berkowitz, toute frustration engendrera de l’agressivité) ;
- l’instabilité (à observer sur au moins deux semaines, pour la distinguer des fluctuations ordinaires de l’humeur).
Enfin, les intervenants sont unanimes pour rappeler une évidence : pour être en capacité de faire attention aux autres, un manager doit soi-même être serein. Selon Adrien Chignard : « Si vous êtes au fond du trou, vous ne pourrez pas être attentif aux autres. Prendre soin de soi, c’est être plus responsable et lucide qu’égoïste, parce que penser à soi c’est ce qui permet ensuite l’altruisme ».
Pour ce faire, alors que certains managers pensent devoir être un super-héros qui affronte tout, tout seul, David Mahé recommande au contraire d’accepter une certaine vulnérabilité. Un manager peut notamment partager ses difficultés avec d’autres managers (par exemple dans le cadre d’une communauté de managers mise en place par l’entreprise). Et, selon David Mahé, « un manager c’est aussi quelqu’un qui doit être capable vis-à-vis de son équipe, de demander du soutien. Un manager a aussi le droit à un coup de mou, et une équipe, ça sert aussi à soutenir un manager et pas uniquement l’inverse ».
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