Télétravailleurs et télétravailleuses, gare aux lumbagos ! Dans une étude originale tentant de décortiquer la chaîne des déterminants physiques et psychosociaux de la survenue de lombalgie en télétravail, Santé Publique France note, entres autres, « une survenue de lombalgie significativement plus importante parmi les télétravailleurs disposant d’un deuxième écran ».
L’agence nationale de santé publique évalue ainsi le risque de lombalgie à 10,9 % pour les 209 télétravailleurs indemnes de lombalgie au début du troisième confinement – interrogés rétrospectivement – utilisant un deuxième écran, autre que celui de l’ordinateur portable. Quand le risque s’élèverait à seulement 3,4 % pour les 257 télétravailleurs « mono-écran ».
Pour expliquer ce phénomène, les auteurs de l’étude supputent que « la dotation d’un deuxième écran concerne des activités pour lesquelles le travail attendu est plus prescripteur avec moins de marge de manœuvre ». Dans cette hypothèse, ce ne serait pas tant le deuxième écran mais le risque psychosocial provoqué par le travail « prescripteur » qui augmenterait le risque de lombalgie. Le mal-être étant, selon Santé publique France, un facteur de risque de lombalgie.
« La présence d’une symptomatologie dépressive serait significativement associée à la survenue de la lombalgie », relève ainsi l’agence nationale. Le risque de lombalgie des télétravailleurs qui auraient l’impression de fonctionner « presque toujours » au ralenti est par exemple évalué à 37,6 % (contre 2,5 % pour ceux n’ayant « jamais » cet impression). Et le risque de lombalgie associé à ceux souffrant d’une dépression « certaine » s’élèverait à 23,2 % (contre 2,5 % pour ceux ne souffrant pas de dépression).
Seconde raison avancée par les auteurs pour expliquer le risque significatif de lombalgie chez les télétravailleurs utilisant un deuxième écran : la sédentarité provoquée par des conditions de télétravail perçues comme confortables. « Télétravailler dans des conditions matérielles semblant positives pourrait être à l’origine d’une sédentarité accrue et d’une position assise prolongée, facteurs de risque connus de lombalgie », exposent-ils. Dans cette hypothèse, les conditions matérielles semblant positives augmenteraient la sédentarité, donc augmenteraient le risque de lombalgie.
Cependant, les auteurs soulignent que la survenue de lombalgie serait significativement moins importante chez les personnes qui se déclarent être très satisfaites vis-à-vis de leurs conditions de télétravail par rapport à celles qui déclarent n’être pas du tout satisfaites (risque de lombalgie évalué à 3,1 % contre 17,7 %).
Même contradiction concernant la quantité hebdomadaire de télétravail, statistique mise en avant par Santé publique France dans son communiqué, bien que spécifiée être « non significative ». La prévalence de la survenue de lombalgie passerait de 9 % pour les télétravailleurs à temps plein à 5 % pour les télétravailleurs hybrides (télétravail à temps partiel). Or, les premiers seraient davantage satisfaits vis-à-vis de leurs conditions de télétravail (81,8 %) que les seconds (78,3 %). Question de perception ou ambivalence structurelle des « bonnes » conditions de télétravail ?
Ajoutons que parmi les 1 457 travailleurs indemnes de lombalgie au début du troisième confinement, la prévalence de la survenue de lombalgie serait plus élevée chez les télétravailleurs (7 %) que chez les non-télétravailleurs (5 %), « sans que cette différence soit statistiquement significative »… De quoi toutefois recommander d’agir sur la qualité des conditions de télétravail (et sur la prévention de la sédentarité associée), afin d’en limiter son influence sur la survenue de lombalgie.
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Une dernière raison pourrait être évoquée, celle des nombreuses limites de l’étude. « Par la nature transversale de l’enquête, les conclusions relatives à la causalité des relations doivent être interprétées avec prudence, étant donné que des liens de causalité inverse ne peuvent être exclus », prévient Santé publique France. L’agence nationale déplore également, entres autres, que « si l’étude documente le fait de disposer de matériel propre à l’exercice du télétravail, elle ne permet pas de juger de son usage optimal (positionnement de l’écran, réglage du siège, aménagement de l’espace, etc.) ».
« Ceci pourrait expliquer que le fait de disposer de conditions matérielles de télétravail favorables ne suffise pas à réduire le risque de survenue de lombalgie, bien que l’importance des contraintes organisationnelles et psychosociales, connues pour être de facteur de risque de lombalgie, n’ait pu être étudiée ici », poursuit l’agence nationale. Tout en avouant que « de nombreux facteurs de risque de survenue de lombalgie ne sont pas ou mal connus ».
Autre limite : « le fait d’avoir interrogé le niveau de satisfaction vis-à-vis des conditions de travail en télétravail après la survenue de la lombalgie a rendu difficile l’hypothèse de l’influence du premier sur la seconde », ajoute Santé publique France. « Il est possible que l’apparition de douleurs ait pu, après celles-ci, entraîner une moindre satisfaction des conditions de travail en télétravail »… Bref, entre la relation complexe des déterminants et les limites nombreuses évoquées, mieux vaut, semble-t-il, attendre un peu avant de désinstaller le deuxième écran.
Les femmes seraient également plus à risque
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Selon l’étude, une survenue de lombalgie serait également significativement plus importante chez les télétravailleuses que chez les télétravailleurs (avec un risque de lombalgie évalué à 9,5 % pour les premières contre 3,9 % pour les seconds). Les auteurs n’expliquent pas cette différence genrée, notant seulement que « les femmes [apparaissent] plus souvent confrontées à l’apparition d’une lombalgie, ce qui est concordant avec la littérature ». |