ActuEL-HSE : Pouvez-vous rappeler ce qu’on considère comme un espace confiné ?
Frédéric Tison : Un espace confiné est un endroit qui est semi-ouvert ou fermé. A mon sens, c’est un endroit où l’homme ne va pas pour y travailler, mais il y va pour faire de la maintenance ou de l’entretien. En règle générale, c’est aussi un endroit qui contient des produits toxiques sous forme solide, gaz ou liquide. Les accès y sont plus ou moins difficiles, avec une ventilation qui est faible pour le travail d’un homme en condition normale.
Parfois les entreprises ne savent pas si elles sont confrontées à un espace confiné ou non. De notre côté, nous avons catégorisé deux types d’espaces confinés : l’espace confiné où on peut rentrer un homme en entier dedans, qui colle à la définition précédente, et l’espace vicié. C’est un endroit qui a les mêmes caractéristiques qu’un espace confiné, sauf que l’homme n’y rentre pas en entier. Il ne rentre que son bras ou que sa tête pour faire une vérification (ex. : les releveurs de compteurs en eau potable qui mettent juste leur tête pour vérifier le numéro de compteur). Dans ce cas, il y a d’autres critères en termes de formation et d’équipement de sécurité.
Dans la législation, un des seuls endroits où les espaces confinés sont mentionnés, c’est l’arrêté du 19 mars 93 sur les 21 travaux dangereux qui fait apparaître ce risque à la dix-huitième position (NDLR : il existe aussi les articles R. 4222-23 et R. 4222-24 du code du travail).
Le dispositif CATEC® (Certificat d’Aptitude à Travailler en Espaces Confinés) n’est pas obligatoire, mais seulement recommandé par la recommandation R 447, est-ce bien ça?
F.T. : C’est quelque chose qui est très compliqué à expliquer aux gens. Nous avons bien cet arrêté qui liste les espaces confinés dans les travaux dangereux, mais il ne nous dit rien d’autre, il ne dit pas comment s’y prendre concrètement. Il faut donc d’abord passer par l’évaluation des risques, et s’il y a un espace confiné, il faut s’appuyer sur les recommandations, autrement dit les savoirs-faire qui ont été mis au point par l’INRS avec l’intermédiaire de la Cnam ou des CTN, les comités techniques nationaux. Il existe une recommandation que nous appelons le socle, c’est la R.447. Elle traite de l’ensemble des espaces confinés pour tous les secteurs (ex. : eau potable, assainissement, aéronautique, etc.). C’est une recommandation générique que tout le monde doit appliquer et il est possible d’y ajouter des consignes particulières adaptées à son entreprise. Elle n’est pas obligatoire en terme légal, mais c’est un appui technique essentiel. Il existe aussi deux recommandations qui sont spécifiques : la R. 435 est spécifique pour les citernes (ex. : silo à blé, citerne de camion ou de train, citerne en viticulture, citerne de méthanisation). Par rapport à la R. 447, elle donne d’autres contraintes, comme des procédures de ventilation qui sont différentes par rapport à la formation de base. Par exemple, il est évidemment hors de question de souffler dans un silo de farine, c’est une des spécificités de la R. 435. Et il existe aussi la R. 472 qui est spécifique au métier de l’eau et de l’assainissement. C’est ça le Catec®.
Dans l’industrie, quelle tâche ou activité implique des espaces confinés ?
F.T. : tout ce qui est incinérateur, dans le secteur des déchets par exemple, mais aussi les activités de fonderie, avec les fours et les galeries techniques. Je pense aussi aux broyeur-sécheurs, et à toutes les machines qui nécessitent de l’entretien avec des outils de coupe.
Pour le secteur de l’eau et de l’assainissement, au départ, avec la recommandation R.472, l’INRS estimait qu’il allait falloir former 80 000 personnes. Aujourd’hui, nous sommes aux alentours des 300 000 – 400 000 personnes formées. Nous sommes dans un métier en pleine expansion, notamment à cause des règles environnementales. Je pense que dans l’industrie, on n’est pas loin d’un million de personnes à former ou à informer. Par exemple, ce qui est souvent oublié, ce sont les balances au niveau des quais de livraison : quand les camions arrivent sur un site industriel, ils sont souvent pesés, ils passent sur un pont balance. Et, sous le pont balance, c’est un espace confiné et les gens ne le considèrent pas comme tel. A mon sens, l’industrie est un peu en retard, par rapport au secteur de l’eau et de l’assainissement. Evidemment, il ne faut pas être naïf, dans le secteur de l’eau, c’est un accident grave qui a déclenché la R.472.
Pensez-vous à d’autres secteurs concernés ?
F.T. : Aujourd’hui, nous constatons une recrudescence d’accidents en viticulture, surtout sur la vinification avec les citernes. Nous sommes sollicités pour des formations dans ce secteur, ainsi que sur les brasseries de bières.
Enfin, il y a aussi le BTP, avec la préparation de chantiers, qui comporte des tâches spécifiques. Parfois, les entreprises ont du mal à définir l’espace confiné, et à savoir si elles doivent former leur personnel ou non. Pour moi, ces formations ne doivent pas être rigides, il faut que ce soit une boîte à tiroirs. Par exemple, ce n’est pas possible d’utiliser certains équipements dans le BTP : sur une tranchée, on ne peut pas avoir un dispositif anti-chute comme on fait au-dessus d’un égout. Dans le BTP, il y a aussi l’enjeu de la sous-traitance : certaines entreprises sont des sous-traitants de grands groupes (qui n’ont plus de service travaux en interne) et ils se retrouvent livrés à eux-mêmes. Les travaux se font souvent dans l’urgence.
Quels sont les risques principaux de l’espace confiné ?
Pour évaluer les risques rapidement, nous avons imaginé la méthode TAVI. Le T signifie toxique, sous forme solide, liquide ou gazeux. Le A, représente l’accessibilité à l’entrée ou à la sortie. Le V, ce sont les types de ventilation (faible ou pas). Le I, c’est le type d’intervention (ex. : soudure, meulage, perçage, résinage) car selon la tâche, « je peux créer un espace confiné ». Cette méthode permet de définir si l’espace est confiné ou s’il est vicié. Pour résumer, les dangers de l’espace confiné, c’est la toxicité, l’accessibilité, les problèmes de ventilation et ce qu’on fait à l’intérieur.
Il y a trois risques majeurs dans un espace confiné. Comme moyen mnémotechnique, nous les avons associés au mot qu’on utilise quand on se fait mal : aïe. Le A correspond à 2 risques proches : le premier, c’est l’anoxie (le manque d’oxygène), et le second c’est l’asphyxie, souvent causée par le monoxyde de carbone (CO) qui est dû soit au gaz d’échappement de véhicule, soit à la vinification (CO2) , c’est-à-dire à la création d’alcool dans les cuves de vignoble par exemple. Ensuite le I, ce sont les intoxicants, comme l’ammoniac, le chlore, l’ozone. Enfin, le E représente les risques d’explosion dus au CH4 ou à d’autres gaz explosifs, comme en méthanisation, l’H2S, qui est un gaz intoxicant, qui à forte dose devient explosif.
La seule protection collective qui existe aujourd’hui pour lutter contre les espaces confinés, c’est la ventilation. 98% de la protection d’un travailleur en espace confiné, c’est une ventilation adaptée à l’individu. En formation, nous martelons aux stagiaires qu’ils doivent toujours être « en surventilation » en fonction du type d’endroit. L’aération n’existe pas, c’est interdit. Une ventilation mécanique, c’est soit on pousse de l’air, soit on l’aspire. Dans les accidents mortels qu’on a aujourd’hui en espace confiné, 90% sont dus au manque de ventilation. Ensuite, il y en a environ 5% qui sont dus à des chutes et 5% qui sont dus aux risques routiers.
Au-delà de la prévention collective, comment faites-vous en formation pour responsabiliser les travailleurs sur les mesures à prendre au niveau individuel ?
F.T. : Pour remplacer une protection collective comme la ventilation, le premier choix c’est de prendre un détecteur multi-gaz. Et non monogaz. Nous devons contrôler au minimum l’oxygène et le CO. Mais ce n’est pas suffisant, un détecteur alerte, il sonne, il ne vous protège pas. Ce détecteur doit être couplé à un système de protection respiratoire. Il faut avoir une détection précoce du risque avec une protection précoce respiratoire qui peut être de plusieurs types : masque autosauveteur, ARI (appareil respiratoire isolant), etc.
En formation, nous devons vraiment expliquer aux stagiaires qu’un détecteur ne suffit pas (ils pensent que quand il sonne, il suffit de sortir). Au niveau des entreprises, la plupart de nos clients ont bien pensé à ce double système, mais parfois ils couplent la mauvaise protection respiratoire, par exemple un ARF avec une protection respiratoire filtrant du type cartouche. Or l’appareil filtre les poussières et les gaz, mais les charbons actifs qui sont dans cette cartouche utilisent l’oxygène, donc cela crée l’espace confiné dans le masque de l’individu (- 19 %02) et cela amène plus vite le risque mortel. Le choix de la protection respiratoire est très important et dans la R 447, c’est très bien expliqué par l’INRS.
Quel type de public recevez-vous en formation ? Dans quel état d’esprit arrivent-ils et repartent-ils ?
F.T. : Je vais être vulgaire mais ils arrivent toujours en disant « mais qu’est-ce qu’on va encore apprendre dans cette formation de merde » ?
L’espace confiné, c’est un risque invisible, ça ne se voit pas tout de suite, donc nous utilisons des méthodes pédagogiques qui font comprendre que le manque d’air peut arriver très vite, que les gaz sont présents. A la fin de la formation, les gens nous disent souvent « nom de Dieu, j’ai frôlé la catastrophe plus d’une fois ». Il y a toujours une partie pratique, avec par exemple une descente dans des simulateurs, et là ils prennent conscience du risque. C’est une formation qui est souvent bien perçue par l’opérateur, du fait de cette partie pratique, ils ont l’impression d’apprendre quelque chose, même à titre privé, puisque chez eux, quand ils ouvrent la fosse septique ou quand ils ouvrent le vide sanitaire en dessous de leur maison, ils sont plus vigilants.
Comme retour, nous entendons souvent que la base est formée : l’opérateur intervenant et l’opérateur surveillant sont formés. Mais, ils se plaignent que l’encadrement n’est pas formé, ils ont une problématique entre le haut de la chaîne hiérarchique et le bas. Nous avons donc développé une formation qu’on appelle « encadrant d’espace confiné ». Nous ne nous attardons pas sur la pratique, mais plutôt sur la connaissance des risques, des équipements, et sur les vérifications périodiques. Pour cette partie dédiée aux encadrants, nous insistons aussi sur la mise en œuvre du permis de pénétrer. Il y a une ignorance complète des entreprises sur ce point alors que la consignation électrique, ou la consignation mécanique, par exemple sont bien connues. Pourtant, depuis 2013, le Catec® a bien développé le permis de pénétrer, mais, nous continuons de voir des entreprises qui ont des difficultés à le mettre en œuvre.
Pouvez-vous préciser ?
F.T. : Normalement, c’est interdit de descendre dans un espace confiné sans avoir un permis de pénétrer signé par l’encadrement. Il y a des collectivités, et des grands groupes qui ont développé des solutions qui fonctionnent très bien, comme le groupe Suez qui a inventé une application dans laquelle l’opérateur rentre toutes les données et prend une photo des équipements mis en place. Ainsi, son encadrant, même s’il est à distance – il ne devrait pas, mais nous savons qu’aujourd’hui c’est une difficulté – peut valider le permis.
Estimez-vous qu’il y a parfois une surestimation du nombre d’espaces confinés ?
F.T. : Oui, nous avons un gros travail de fond à faire en termes d’audit de site pour éliminer ces verrues d’espace confiné qui n’existent pas et qui polluent les responsables HSE. J’ai le souvenir d’une étude où au départ ils avaient listé 280 espaces confinés dans l’usine et nous en avons réellement trouvé 60.
L’inverse peut aussi arriver, par exemple la trappe cockpit Electrique en dessous du pilote d’avion, ou la chapelle, c’est un équipement qui se trouve à l’arrière d’un avion, juste en dessous de l’empennage, c’est un espace confiné. C’est extrêmement dangereux parce qu’il n’y a aucune ventilation et avec les montées et descentes d’altitude, on perd de l’oxygène.
Dans les formations, est-ce que vous recevez des personnes qui sont quasiment claustrophobes ?
F.T. : Oui, nous ne demandons plus l’aptitude médicale à cause du RGPD. Aujourd’hui c’est à l’employeur de s’assurer que la personne est apte à faire la formation. Il y a des critères comme la claustrophobie, le vertige et pour porter certains types d’appareils respiratoires au niveau dentaire, ce n’est pas possible de porter à la fois un dentier haut et un dentier bas.
Nous utilisons des simulateurs mobiles ou fixes qui nous permettent de mettre les salariés en situation, mais dans une zone protégée avec des systèmes d’évacuation et d’éclairage d’urgence. Nous découvrons quelques cas de claustrophobie (davantage dans les secteurs industriel et aéronautique, que dans l’eau ou l’assainissement). Ces personnes sont donc inaptes à la formation, elles valident la théorie mais pas la pratique. Ensuite, nous informons l’employeur car ils ne peuvent pas être des intervenants, mais ils peuvent tout à fait être surveillants.