De nombreux produits chimiques peuvent être utilisés par les salariés en fonction de leur poste de travail : solvants, peintures, colles, produits de nettoyage, réactifs de laboratoires, carburants, métaux, cosmétiques… Même dans une petite entreprise, de quelques dizaines à quelques centaines de produits chimiques différents peuvent être utilisés.
Généralement, les produits chimiques sont composés de plusieurs substances qui engendrent une polyexposition des utilisateurs de ces mélanges. Les salariés se trouvent aussi exposés à des sous-produits émis par des procédés, comme le soudage ou l’usinage, ou par d’autres activités (produits de dégradation, brouillards, poussières…) et à des déchets. Par ailleurs, d’autres sources d’exposition aux produits chimiques extraprofessionnelles existent aussi, comme l’alimentation ou l’environnement ou la prise de médicaments.
Selon les résultats de l’enquête Sumer 2017, la part des salariés se déclarant concernés par les polyexpositions aux agents chimiques est la suivante :
- 33 % des salariés du secteur privé exposés à au moins une substance chimique la semaine précédant l’enquête ;
- 15 % des salariés exposés à au moins trois substances chimiques ;
- 10 % des salariés exposés à au moins un produit cancérogène.
La polyexposition chimique n’implique pas nécessairement une exposition simultanée à plusieurs substances. En effet, chaque substance chimique a une durée de vie (clairance) variable. Elle peut persister dans l’organisme pendant quelques heures (méthyléthylcétone) ou parfois pendant une vie entière béryllium, polychlorobiphényles). Les expositions séquentielles, à des jours différents de la semaine, sont potentiellement problématiques lorsque les substances concernées possèdent des demi-vies biologiques (temps nécessaire à une substance pour perdre 50 % de son activité physiologique) supérieures à 24 heures.
Dans ce dernier cas, un travailleur qui serait exposé à une substance A pendant les trois premiers jours de la semaine, et, à partir du milieu de semaine à une substance B interagissant avec la première, serait sujet à des risques inhérents aux polyexpositions.
Cette problématique se pose aussi lorsque le salarié se retrouve exposé en dehors de son environnement professionnel à des substances chimiques (médicaments de demi-vie longue par exemple) pouvant interagir avec des substances professionnelles. Lors d’une reprise du travail après une maladie, en cas de traitement pour une affection chronique, les médicaments absorbés sont présents dans l’organisme du salarié exposé à des substances/agents chimiques sur le lieu de travail.
La polyexposition chimique est la plus creusée actuellement, notamment car elle prend de plus en plus d’ampleur en raison de la multiplication des tâches et des postes géographiques. On évoque également la notion d’exposition agrégée : c’est l’exposition à plusieurs substances provenant de sources multiples (eau, air, poussières, alimentation etc.), par des voies multiples (ingestion, cutané, inhalation) et dans le cadre personnel ou professionnel. Les enjeux sanitaires sont exacerbés par :
- l’évolution des métiers : polyvalence, complexification des tâches ;
- la multiplicité des sources ;
- l’effacement des frontières.
Le constat est que nous avons beaucoup de données métrologiques et de modélisation mais ce ne sont pas les pièces d’un même puzzle. Ils ont souvent des finalités et des périmètres différents. Il faut faire communiquer ces modèles selon David Vernez, d’Unisanté. On distingue une approche « top down » via un modèle commun (harmonisation des pratiques et de la terminologie) ou une approche plutôt « bottom up » via des cas précis. Il y a un but commun d’agrégation, afin d’avoir des outils qui communiquent et des structures harmonisées de collecte et de traitement des données.
Le programme européen de recherche et innovation « PARC » pour mieux évaluer les risques des substances chimiques, a pour ambition de concevoir une évaluation des risques des substances chimiques de nouvelle génération, intégrant à la fois la santé humaine et l’environnement, dans une approche « Une seule santé – One Health ». Il contribuera à soutenir la stratégie de l’Union européenne pour la durabilité dans le domaine des produits chimiques et à l’ambition «zéro pollution» du Pacte vert pour l’Europe. Son point 6.2.2 a pour ambition de travailler sur l’exposition globale de la population générale et des travailleurs à partir de sources et de voies multiples.
La polyexposition est prise en compte en partie, dans la réglementation. Par exemple on peut citer :
- la prise en compte de l’exposition combinée dans la directive risques chimiques 98/24/CE concernant la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs contre les risques liés à des agents chimiques sur le lieu de travail : son article 4 sur l’évaluation du risque chimique prévoit que dans le cas d’activités comportant des expositions à plusieurs agents chimiques, les risques sont évalués sur la base des risques combinés de tous ces agents chimiques ;
- jusqu’alors le code du travail faisait référence à la santé globale du travailleur dans son article L. 4121-1 du code du travail qui impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale et physique des travailleurs. Suite à la loi du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail, il a été ajouté à l’article L. 4412-1 du même code que les règles de prévention des risques chimiques doivent prendre en compte les situations de polyexpositions ; et à l’article R. 4412-6 il est précisé que pour l’évaluation des risques l’employeur doit prendre en compte l’exposition simultanée ou successive à plusieurs agents chimiques et les effets combinés de ces agents chimiques ;
- l’article R. 4412-149 du code du travail, concernant le styrène mention bruit il est mentionné la possibilité d’une atteinte auditive en cas d’exposition au bruit ;
- les articles R. 4412-144 et R. 4412-145 du code du travail, il est pris en compte l’additivité des silices cristallines et des poussières ;
- enfin, le règlement européen (CE) n° 1272/2008 du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges (CLP) prévoit une règle d’additivité pour la classification des substances à certains dangers.
Des progrès sont nécessaires pour renforcer la prévention et la traçabilité des expositions aux risques chimiques, via le développement d’outils d’accompagnement, l’établissement de nouvelles VLEP et indicateurs biologiques d’expositions, et par des campagnes de mesures pour valider les mesures de réduction des expositions pour des processus de travail ciblés (CARTO silice par exemple).
En ce sens, le 4ème plan santé au travail (PST4) pour les années 2021-2025 prône d’aller sur un réglementaire plus encadré. Pour cela, dans son action 2.1 sur la prévention des risques chimiques, il est prévu en premier lieu d’agir pour mieux connaitre les polyexpositions aux agents chimiques afin d’établir des VLEP et indicateurs biologiques.
Au niveau européen, des guides sur la polyexposition chimique sont en cours de réflexion. Il est également envisagé de mettre en place des valeurs limites pour des groupes de substances. Sur le terrain les entreprises peuvent se tourner vers les acteurs de prévention de terrain et notamment vers la CARSAT.
Cependant, en avançant vers une volonté de protection « totale » face à des risques nombreux dont les interactions sont peu ou pas connues, mais sur lesquels les employeurs sont invités à réduire au minimum toute exposition, il ne faut pas tomber sur un principe de précaution général bloquant toute initiative. Il faut intégrer la protection dans des conditions de travail réalisables. Selon Jérémy de Saint Jores de la Direction Générale du Travail, les partenaires sociaux doivent veiller à cet équilibre.
Pour faciliter cette démarche, l’INRS rappelle la mise à disposition de trois outils d’évaluation des risques chimiques :
- Seirich pour dérouler la démarche d’évaluation des risques chimiques jusqu’à l’élaboration du plan d’action ;
- Mixie pour évaluer les effets potentiels sur des salariés exposés à des mélanges de substances chimiques ;
- Altrex Chimie pour définir une stratégie de contrôle et interpréter les résultats de mesures dans l’air de cocktails de substances chimiques.
Le logiciel MiXie, développé par l’INRS en collaboration avec l’institut québécois IRSST et l’Université de Montréal, permet d’évaluer le potentiel additif ou non des substances chimiques à partir de données atmosphériques et de situer les niveaux d’exposition cumulés par rapport aux valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP). Il s’adresse à tous les préventeurs, il n’est pas nécessaire d’être toxicologue pour l’utiliser.
L’outil repose sur l’hypothèse d’additivité des effets (approximation sur l’évaluation du potentiel additif). Aujourd’hui Mixie recense 400 substances associées à des effets toxiques en fonction de l’organe cible en jeu. Le premier niveau de l’outil permet de repérer les classes d’effets communes entre les substances, c’est une analyse qualitative de la situation. Le second niveau permet une analyse quantitative au regard de mesures de concentration atmosphérique. A partir de cela, l’indice d’exposition à effets additionnels (IAE) sera calculé. Au-delà de 100% de la valeur limite il y a un risque et l’utilisateur est informé pour chaque classe d’effet à risque.
Une approche mono-exposition c’est-à-dire concernant une seule substance, se concentre sur le dépassement ou non de la VLEP pour cette substance donnée. Cette exposition est souvent maîtrisée, ce qui n’est pas toujours le cas quand on passe à une approche de polyexposition, ou la présence cumulée de plusieurs substances peut exposer le salarié à un véritable risque chimique. Ainsi Mixe aide aussi à la décision en cas de polyexpositions en permettant de prioriser les actions à prendre au regard des risques relevés. 20 % des situations à risque sont détectées grâce à cet outil. A noter que pour le moment, les nanoparticules ne sont pas intégrées dans Mixie.
Pour aller plus loin, une fiche technique de l’INRS explique comment identifier les dangers d’une polyexposition chimique sur la santé des salariés à l’aide de Seirich et Mixie France. Il n’existe pas de passerelle entre les deux outils. Par contre, Seirich va pouvoir identifier des substances présentes au niveau d’une zone particulière (un poste de travail par exemple) afin de pouvoir les intégrer dans Mixie.